Considéré comme un héritage celtique, le gouren est un combat de force et d’adresse pratiqué au corps à corps. Comme pour toutes les différentes variétés de lutte, cette discipline oppose deux combattants qui feront en sorte de mettre à terre son adversaire. Et ce, en respectant les règles du jeu imposées au cours de tournois surveillés par des arbitres qualifiés. Mais qu’est-ce qui fait la spécificité de la lutte bretonne ?

Histoire de la lutte bretonne

En breton, gouren signifie lutte, et d’aussi loin que l’on se souvienne, le corps à corps a toujours été pratiqué par les bataillons européens lors des affrontements n’impliquant pas l’usage d’armes. Au IVe siècle, l’Armorique connait une forte immigration bretonne. L’arrivée du gouren dans la péninsule est donc située à cette période où les techniques de combat martiales ont pu être améliorées avec celles des populations locales. D’autres historiens tels que Le Menn G. et Jaouen G. évoquent des origines celtiques pour une lutte pratiquée debout, car le combat s’arrête en dessous de la ceinture et au niveau du sol.

À la fin du Moyen-âge, le gouren devient une technique de combat privilégié des nobles et des gens d’armes. Mais dès l’apparition des armes à feu durant la Renaissance, la lutte n’est plus exploitée par les armées. Elle est récupérée par le peuple pour en faire une pratique populaire divertissante dont les règles varièrent d’un village à un autre. Pour qu’une rencontre puisse avoir lieu, une autorisation seigneuriale devait être obtenue. Parmi les trophées des vainqueurs se trouvèrent des gants, des pourpoints et des aiguillettes.

Dans le XIXe siècle, les tournois de lutte bretonne étaient mis en place par les mairies pour marquer leur autorité lors d’événements particuliers tels que la fête nationale ou les fêtes paroissiales. Ce qui n’empêcha pas les paroisses rurales d’avoir leurs propres rituels de luttes locales symbolisant l’identité et la reconnaissance sociale. D’ailleurs, un volet de la revue « A travers le monde » fait le récit des luttes bretonnes qui furent organisées à Scaër en 1898. Au XXe siècle, les tournois se maintenaient dans la partie ouest de la Bretagne durant les fêtes patronales. Mais les autres sports tels que le cyclisme et le football l’ont relégué au second plan.

Après la Première Guerre mondiale, le gouren en tant que sport traditionnel et identitaire a été modernisé. Ainsi, en 1930, de nouveaux règlements incluant des temps de combat, des catégories de poids et des résultats intermédiaires ont été proposés par Charles Cotonnec (1876-1935), médecin de Quimperlé et barde du Gorsedd de petite Bretagne. Le jeu est plus sécurisé par une surface de combat tapissé de sciure de bois. Si avant le combat se terminait uniquement au lamm, c’est-à-dire un résultat impeccable, les adversaires pouvaient désormais gagner si le temps imparti était fini. C’est à cette époque que l’on assistât à la création d’une première Fédération des Amis des Luttes et Sports Athlétiques Bretons ou Falsab. Un serment de loyauté considéré comme pratique rituelle propre au gouren a été prononcé avant chaque combat. Il en est de même pour l’accolade et la poignée de main qui sont reconnus comme accord de loyauté. Les règles du jeu sont donc codifiées par la Falsab, en imposant par exemple des règlements oraux variant d’un terroir à un autre, ou encore des codes réglementaires communs mis par écrits. En 1980, la Falsab devient une confédération d’associations de jeux et sports bretons. Celle-ci s’affilie à la Fédération française de lutte en 1995.

Les spécificités du gouren

Comme pour tous les sports de combat, le gouren a ses propres règles. Mais ce qui fait la différence avec cette lutte bretonne est la possibilité de prises de jambes. Pour cela, les deux adversaires s’accrochent à leurs vestes et se servent de leurs jambes pour essayer de faucher ou de balayer l’autre. D’autres prises telles que le kilked sont encore plus populaires. Cette technique de combat vise à enrouler une jambe autour de celle de l’adversaire pour qu’elle ne puisse plus bouger et que le reste du corps tombe en arrière.

La tenue de combat

Pour pouvoir combattre, les lutteurs portent une tenue traditionnelle composée d’une veste blanche en toile épaisse, accessoirisée par la « roched », une ceinture serrée sur le côté. Pour ce qui est du « bragou », il s’agit d’un pantalon noir porté et lassé au-dessous du genou pour que les prises de jambes soient plus accessibles. Cet accoutrement rappelle celui que portaient les paysans bretons de Cornouaille aux XVIIIe et XIXe siècles. Tandis que le choix du noir et du blanc rappelle les couleurs du Gwenn ha Du, le drapeau de la Bretagne. À noter que la fédération de Gouren collabore avec l’entreprise Armor Lux pour la fabrication de l’uniforme.

Le Mod-Kozh

Les compétitions de gouren s’organisent en été et en hiver. Lorsqu’il fait chaud, les combats se font en extérieur, sur une lice de sciure. Mais en temps de neige, les adversaires jouent dans une salle équipée d’un tapis. En dehors des tournois d’été, des rencontres à la mode ancienne ou mod-kozh s’organisent. Il y a deux catégories de poids et les participants se choisissent par défi. Un premier lutteur récupère le trophée pour faire le tour de l’aire de combat et défier ses concurrents. Celui qui souhaite relever le défi lui tape sur l’épaule ou lui répond en lui demandant de rester debout ou « chomed o sav! ». Pour gagner le trophée, il faut trois victoires de suite. Depuis la création des écoles de luttes, une autre stratégie a été instaurée. Les lutteurs appartenant à un seul club ne doivent pas combattre. Ainsi, il y a des jeux de stratégies développés pour augmenter les chances de cumuler trois combats et sortir vainqueur.

Loyauté, honneur et sincérité

Les rituels d’antan sont toujours aussi respectés par les adeptes de la lutte bretonne. Hommes et femmes font le serment de respecter les valeurs de loyauté, d’honneur et de sincérité qui font la particularité du gouren. Avant de commencer le combat, les deux adversaires se touchent trois fois la joue, une pratique qui signifie également la fin de la rencontre. Après chaque chute, le dornad ou la poignée de main confirme la reprise du combat.

L’arbitrage d’un combat de gouren

Lors d’un tournoi de gouren, les combats sont suivis par trois arbitres de droits égaux. Ils se confrontent avant de rendre leur verdict. Parmi les résultats attendus après une chute figure :

  • Lamm ou résultat parfait

Il y a Lamm lorsqu’il y a une chute sur le dos, touche à terre des deux omoplates en même temps, et ce, avant qu’une autre partie du corps de l’adversaire ne tombe.

  • Kostin

Le kostin indique une chute sur le dos avec touché au sol d’une seule omoplate.

  • Kein

Le kein est relié à une chute sur le bas du dos, ou le dos et les fesses. Il est considéré comme un avantage lors des prolongations.

  • Netra

Le Netra ou rien en breton est une chute sans conséquence.

Tout au long du match, les comportements agressifs ou non justifiés, qu’ils soient physiques ou verbaux, sont considérés comme des fautes. Celles-ci sont comptabilisées par les arbitres et sont pénalisantes. Si vous entendez Diwall ou attention, c’est un avertissement, par contre un Fazi est une faute reconnue. La succession de 3 Fazis donne lieu à un Divrud ou une disqualification pour la compétition après faute grave de type injure ou impertinence. Le Poent résulte de 2 fazis, tandis que le fazi vraz est une disqualification pour le combat.

Qui pratique la lutte bretonne de nos jours ?

Grâce à une politique de gestion autonome, la Fédération de gouren a pu rassembler plus de 1600 licenciés. Sur l’ensemble du territoire, l’on compte plus de 40 clubs ou écoles (skolioù) dont la majorité est installée dans le Finistère. Quelques-unes sont localisées sur Paris et en Loire-Atlantique. Outre les lutteurs, le gouren intéresse de plus en plus la gent féminine ou les premières combattantes inscrites étaient comptabilisées dans les années 70. Pour les enfants, le babigouren se pratique dès 4 ans. Il y a aussi ceux qui font de la lutte bretonne un sport de loisir. Alors que les écoliers sont régulièrement initiés par les permanents professionnels de la fédération et les comités départementaux. Depuis 1998, les candidats au baccalauréat peuvent choisir le gouren comme épreuve optionnelle.

À l’échelle internationale, la confédération européenne de luttes celtiques et traditionnelles organise les championnats européens de luttes celtiques. Les catégories sont nombreuses, dont le niveau senior, les espoirs et les féminines. Il y a aussi les combats ouverts pour différentes sortes de lutte spécifiques. Pour rappel, ce sont les membres de la fédération de gouren qui ont pris l’initiative de créer la Fédération internationale de luttes celtiques (Filc) en 1985. Celle-ci milite pour la « légitimité de lutter chacun dans l’esprit de sa culture d’origine et de sa tradition, mais en connaissance et dans le respect des traits singuliers des autres luttes ». La lutte bretonne devient donc une partie prenante de l’identité culturelle dont les valeurs sont traduites dans toutes les langues des fédérations membres de la Filc.